Une confrontation inévitable entre présomption de culpabilité et (art 6 CEDH) réalisée par l'opinion publique
culpabilité et présomption d’innocence :
Section 2 – Une confrontation inévitable entre présomption de culpabilité et présomption d’innocence réalisée l’opinion publique
Il s’agit concrètement de s’intéresser à la réponse qu’offre le droit pénal face aux présomptions de culpabilité
non plus établies par la loi ou par le juge mais par l’opinion publique sous couvert de la liberté d’expression.
Ces présomptions de culpabilité sont sanctionnées par le droit pénal
puisqu’il confère à la présomption d’innocence un rayonnement erga omnes (§1).
Néanmoins le respect de la présomption d’innocence connait des limites à son exercice
et se trouve parfois confronté à d’autres droits telle que la liberté d’expression (§2).
1) Un rayonnement erga omnes de la présomption d’innocence (culpabilité et présomption d’innocence)
Danièle Mayer, professeur de droit pénal, énonçait que la présomption d’innocence est
tout d’abord « un droit à l’égard du juge,
également, un droit à l’égard du policier,
voire, un droit à l’égard du journaliste,
mais aussi, un droit à l’égard de son voisin.
Car ce sont bien là les deux volets de la présomption d’innocence :
D’abord, le respect de la présomption d’innocence s’impose au prétoire,
Puis, le respect de la présomption d’innocence s’impose à l’extérieur du prétoire,
Mais aussi, il s’impose dans la vie quotidienne.
Le juge et le journaliste en tirent des obligations distinctes
mais pour l’un comme pour l’autre la présomption d’innocence
se présente en quelque sorte comme une croyance obligatoire« [132].
Il décrit ainsi parfaitement le champ considérable de la présomption d’innocence ;
principe qui ne doit pas seulement être respecté par les autorités judiciaires
mais aussi par les tiers.
Cela met en lumière les conflits qui existent entre présomption d’innocence
et présomptions de culpabilité établies par la presse.
Le droit pénal est protecteur du statut du présumé innocent (culpabilité et présomption d’innocence)
puisque plusieurs incriminations telles que la dénonciation calomnieuse[133],
le délit de diffamation
ou encore le recel de violation du secret professionnel
ou du secret d’instruction
permettent de sanctionner le journaliste ayant présumé la culpabilité d’une personne mise en examen.
Cette protection de la présomption d’innocence s’est notamment renforcée par la loi du 15 juin 2000
qui a introduit deux nouvelles infractions à l’article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881 :
La première consiste à sanctionner la diffusion d’une image
montrant une personne mise en cause à l’occasion d’un procès pénal
mais n’ayant pas fait l’objet d’un jugement en condamnation
et faisant apparaitre, soit qu’elle est menottée, soit qu’elle est placée en détention.
La seconde réprime le fait de publier, commenter ou réaliser un sondage d’opinion
sur la culpabilité d’une personne mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale[134].
Malgré ce rayonnement erga omnes le principe de présomption d’innocence
se heurte à certaine limite telle que
le droit à la liberté d’expression.
2) L’affaiblissement de la présomption d’innocence par la primauté de la liberté d’expression (culpabilité et présomption d’innocence)
Le conflit entre secret d’instruction
-dérivé de la présomption d’innocence-
et liberté d’expression a été illustré par la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’Homme[135].
Celle-ci a sanctionné la France pour avoir fait prévaloir le secret d’instruction
sur la liberté d’expression en condamnant des journalistes qui avaient publié des articles
relatifs à l’affaire des écoutes téléphoniques pour chef de recel de violation du secret d’instruction.
La Cour européenne avait en effet estimé que les juridictions françaises avait fait preuve
« d’une ingérence disproportionnée du droit à la liberté d’expression dans la mesure où l’ouvrage litigieux concernait un débat d’intérêt public« [136].
Néanmoins, quelques jours plus tard,
la Cour de cassation réaffirmait sa solution initiale
en considérant que le secret d’instruction avait vocation à préserver la présomption d’innocence
et que la protection des sources d’informations journalistiques
n’interdisait pas que des poursuites pénales soient engagées contre des journalistes qui violent le secret d’instruction[137].
Le législateur s’est finalement positionné sur cette question (culpabilité et présomption d’innocence)
par la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes.
Il accorde une faveur plus grande à la liberté d’expression en ce qu’il inscrit dans le dispositif législatif
le principe de la nécessaire protection du secret des sources des journalistes[138].
Cependant, cette disposition ne rend pas impossible toute poursuite d’un journaliste du chef de recel de violation du secret de l’instruction prévu à l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881.
A titre d’exemple, une Cour d’appel avait débouté la directrice d’un journal ainsi que le producteur d’un article
ayant publié un rapport d’expertise relatif à la commission des chefs d’homicide involontaire
et d’omission de porter secours par un docteur au motif que l’application de l’article 38 de la loi précitée constituait une ingérence disproportionnée au droit à la liberté d’expression. La chambre criminelle censure et considère que
« sans apprécier l’incidence de la publication, dans son contexte, sur les droits de la personne mise en cause, et,
notamment, sur son droit à la présomption d’innocence,
au sens de l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision« [139].
La jurisprudence ainsi que le législateur oscillent donc entre le respect de la présomption d’innocence
et le droit à la liberté d’expression dans le but de préserver les deux intérêts incarnés :
d’une part ne pas être présenté ou présumé comme coupable par l’opinion publique
et d’autre part, exercer son droit à l’information.