Le droit pénal et le supporter
Le droit pénal et le supporter :
Utilisations d’engins pyrotechniques, expressions via des chants ou des banderoles…par leur forte médiatisation et résonance, les actes des supporters sont toujours plus scrutés par le grand public, et soumis à des débats durant lesquels le droit a rarement sa place. Des actualités plus ou moins récentes révèlent ces enjeux qui partent des tribunes vers la politique et le droit, à l’image des incidents à l’occasion du match entre l’OM et l’OL (attaque de bus et incidents racistes). Peuvent également être cités les déploiements de banderoles contestataires sur des sujets divers et variés par les groupes de supporters. Des groupes de supporters ont notamment revendiqué leur liberté d’expression après avoir déployé des banderoles injurieuses dans une enceinte sportive.
[Le droit pénal et le supporter]
Ces nombreux actes sont de plus en plus soumis à l’appréciation des juridictions, qu’elles soient nationales ou internationales, jusqu’à la CEDH : la Cour a pu notamment se saisir de tels sujets liés au supportérisme au début des années 2010 dans l’affaire des Authentiks et Supras Auteuil c.France (requête CEDH n o 4696/11) portant sur la dissolution de deux associations de supporters du Paris-Saint-Germain, à la suite d’échauffourées ayant conduit à la mort d’un supporter en 2010. Cet exemple illustre parfaitement les tensions qui peuvent surgir entre la passion sportive et les exigences de l’ordre public. Ces associations soutenaient que leur dissolution constituait une ingérence disproportionnée dans leur droit à la liberté de réunion et d’association. La Cour a cependant conclu à la non-violation de l’article 11 de la Convention. Elle a en effet estimé que, compte tenu du contexte, les autorités nationales pouvaient considérer qu’il existait un « besoin social impérieux » justifiant de telles mesures pour la défense de l’ordre et la prévention du crime. Cette décision met en lumière l’importance du cadre juridique encadrant le comportement des supporters, notamment en matière de droit pénal.
Il convient donc de définir juridiquement la notion de supporter avant d’examiner le cadre pénal applicable à leurs actions.
I. Une définition juridique du supporter
Le supporter en tant que citoyen a souvent été ignoré voire méprisé par les pouvoirs publics du fait de la singularité d’un tel statut dans un stade. Il a notamment fallu attendre une décision du Conseil d’Etat en date du 18 juillet 2024 (n° 482827) pour obtenir une définition juridique des supporters d’un club de football. Il s’agit alors de « personnes qui, notamment par leur comportement, leur tenue vestimentaire, les accessoires portés, la détention de billets permettant d’accéder à une tribune ou une zone réservée ou les conditions d’organisation de leur venue, entendent marquer leur soutien à ce club » (point 4). Cette définition juridique, bien que tardive, reconnaît le rôle des supporters comme de véritables acteurs du sport. Ce rôle est par ailleurs inscrit à l’article L. 224-1 du Code du sport : “par leur comportement et leur activité, [les supporters] participent au bon déroulement des manifestations et compétitions sportives et concourent à la promotion des valeurs du sport”.
[Le droit pénal et le supporter]
Il existe donc une certaine dualité entre : d’un côté la tendance à encadrer juridiquement le citoyen en tant que supporter, et de l’autre côté, la manière dont il peut être sanctionné durement par les pouvoirs publics à travers les interdictions judiciaires et administratives de stade notamment. Par un rapport parlementaire de 2020, de nombreuses dérives dans l’application de ces interdictions administratives de stade ont été mises en lumière, soulignant un usage extensif de ces mesures, parfois en substitution aux sanctions pénales.
Les interdictions judiciaires, d’une durée maximale de 5 ans, sont des peines complémentaires spécifiques, tandis que les interdictions administratives, instituées par la loi du 23 janvier 2006, peuvent durer jusqu’à 24 mois et sont prononcées par arrêté préfectoral.
Mais d’autres textes encadrent pénalement les supporters.
II. Comment le droit pénal encadre-t-il les supporters ?
Le supporter, lorsqu’il commet une infraction, engage sa responsabilité pénale en vertu du principe de personnalité des peines. Mais il engage aussi sa responsabilité civile sur le fondement des articles 1240 et suivants du Code civil en cas de dommages matériels ou humains.
Des peines spécifiques sont également prévues dans le Code du sport pour des infractions commises lors de manifestations sportives, telles que l’introduction de boissons alcoolisées dans une enceinte sportive (Art. L. 332-3 Code du sport), la provocation à la haine ou à la violence (Art. L. 332-6 Code du sport ), l’introduction, le port ou l’exhibition de symboles incitant à la haine ou à la discrimination lors d’événements sportifs (Art. L. 332-7 Code du sport) et le jet de projectile dangereux (Art. L. 332-9 Code du sport).
En outre, des mesures comme l’interdiction de déplacement de supporters et la dissolution d’associations de supporters complètent cet arsenal législatif (Art. L. 332-16-1, L. 332-16-2, L. 332-18 du Code du sport).
III. Un cas sensible d’actualité : l’utilisation des fumigènes
Le cas de l’utilisation des fumigènes se révèle souvent débattu, et en cours de réflexion alors que le sujet mêle sécurité dans les stades et culture du supportérisme.
L’usage d’engins pyrotechniques, y compris les fumigènes, dans les enceintes sportives est traditionnellement interdit par le Code du sport, notamment à l’article L. 332-8, qui dispose :
« Le fait de faire usage d’artifice dans une enceinte sportive pendant le déroulement ou la retransmission en public d’une manifestation sportive est puni de trois ans d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ».
Il ressort de cette disposition des objectifs sécuritaires visant à protéger les personnes face aux risques de brûlures ou d’asphyxie que peuvent provoquer les fumigènes, mais également les biens en prévenant tout risque d’incendie ou de dégradation. Les fumigènes peuvent aussi être source de trouble à l’ordre public, notamment lors de matchs à forte tension, pouvant être utilisés comme projectiles.
[Le droit pénal et le supporter]
Cela étant, force est de constater que ces dispositions n’empêchent pas les supporters de continuer à les utiliser, ceux-ci assurant leur propre sécurité (et celle de leur groupe de supporters notamment) par diverses méthodes. Les incidents liés à des fumigènes sont rares, et les pouvoirs publics tendent vers une autorisation encadrée depuis le décret du 28 mars 2023.
Ce décret instaure effectivement une expérimentation jusqu’en mars 2025 pour autoriser, sous conditions strictes, l’usage d’articles pyrotechniques dans les stades.
Les conditions d’autorisation sont les suivantes : les fumigènes doivent être testés dans des stades de plus de 1 500 personnes (1). Uniquement dans les championnats organisés par des ligues professionnelles (2). Au sein d’espaces délimités et sécurisés, appelés “zones d’animation pyrotechnique”(3). Sont entendus comme “fumigènes” des engins à faible risque (pots à fumée, stroboscopes, torches à main), avec une limite de 35 kg de matières actives (4). Ils doivent être utilisés seulement par des personnes majeures, titulaires d’un certificat de qualification délivré par le préfet (5).
Pour cela, une demande d’autorisation du club et du propriétaire du stade doit être adressée au préfet 1 mois avant l’évènement et transmise à la ligue professionnelle et la fédération concernée.
[Le droit pénal et le supporter]
Ainsi, bien que la définition juridique du supporter puisse sembler évidente, elle est essentielle pour déterminer le régime juridique applicable. Les enjeux sont considérables, car ils touchent à la fois :
– à la liberté des individu.
– à la nécessité de maintenir l’ordre public dans le cadre des manifestations sportives.
Les pouvoirs publics tendent pourtant à un encadrement mieux géré des manifestations sportives dans le respect de la culture du supportérisme et des enjeux sécuritaires qui y sont liées.